A quoi servait l’ISF ? Focus sur les « fonds ISF »

Mis à jour il y a 3 ans

L’ISF, ou Impôt de Solidarité sur la Fortune, est un impôt créé en 1981 par le gouvernement socialiste de François Mitterrand et supprimé par le gouvernement d’Emmanuel Macron en 2017, au profit de l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière).

Au fil des décennies, l’ISF a connu de nombreuses évolutions, tant sur sa base d’imposition et son nombre de redevables, que sur les dispositifs de défiscalisation / d’incitation fiscale qui lui ont été greffés. Entre 2007 et 2017, les “fonds ISF” permettant de défiscaliser certains investissements dans les PME à hauteur de 50%, ont pris une place importante dans le paysage fiscal français et dans celui du financement des PME.

Pourtant, ces dispositifs, malgré la volonté politique d’orienter une partie de l’épargne des Français les plus fortunés vers les PME innovantes et en croissance, présentaient certains inconvénients qu’il convenait de bien anticiper pour une PME : frais exorbitants à destination des sociétés de gestion “commercialisant” ces dispositifs, et modalités de sortie drastiques à même de mettre en difficulté une entreprise dont le dirigeant n’aurait pas suffisamment anticipé la sortie de ses actionnaires ISF.

La page de l’ISF est désormais tournée pour le grand public, si ce n’est certaines revendications récentes des gilets jaunes. Pourtant, *l’impact de ces dispositifs de défiscalisation va encore se faire sentir pour les années à venir*, a minima jusqu’en 2023,* tant pour les redevables ISF* ayant bénéficié de ces dispositifs, *que pour les PME* qui vont devoir régler la note. Faisons donc le point sur ce que l’on a appelé les “fonds ISF”, sur leur fonctionnement et sur la situation actuelle à laquelle font face les PME ayant bénéficié de ces financements.

Un peu d’histoire : création de l’ISF en 1981 et des fonds ISF en 2007

Dénommé à l’origine “Impôt sur les Grandes Fortunes” (IFG) par le gouvernement socialiste de François Mitterrand en 1981, un temps supprimé par le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac, l’ISF est rapidement arrivé à toucher un nombre croissant de personnes, avec une base élargie au point de couvrir lors de son dernier millésime de 2017 une assiette d’actif net imposable de 1,028 milliards d’euros (contre 777 milliards de 2012).

Avec la hausse de l’immobilier, tout détenteur d’un appartement familial à Paris, s’est retrouvé de fait assujetti, la base de redevables ayant atteint un record de 358.000 en 2017.

Promulguée en 2007, la loi TEPA a créé une niche fiscale permettant de déduire de son impôt ISF à acquitter, 75% (ramené depuis à 50%) de son investissement au capital d’une PME sous conditions. L’investissement pouvant intervenir, soit en direct, souvent par l’intermédiaire de “mandats ISF”, soit via des “fonds ISF” dédiés. Ceci complétait les dispositifs incitatifs existants en réduction d’IR (Impôt sur le Revenu) pour la souscription à des Fonds Commun de Placement en Innovation (FCPI) et des Fonds d’Investissement de Proximité (FIP), qui ont également été intégrés dans le dispositif ISF.

De fait, les assujettis à l’ISF (qui n’étaient alors que 73.000 en 2007) ont rapidement adopté ces dispositifs, et les montants régulièrement alloués aux acteurs de l’investissement non-coté et aux PME via la défiscalisation ISF ont vite été significatifs et récurrents.

Les investissements réalisés étaient assortis de contreparties, notamment un engagement de conservation pendant 5 ans de la part des investisseurs. Par ailleurs, les sociétés devaient être éligibles en répondant à certains critères (PME communautaires non cotées, ancienneté de 10 ans maximum depuis le début de l’activité).

Image 1 : Réductions ISF consenties par la loi TEPA

Fonctionnement des fonds ISF et mandats ISF

Concrètement, quels étaient les intérêts des parties à effectuer ce type d’opération, et quelles en étaient les modalités ?

Les contribuables français soumis à l’ISF, actionnaires de la PME dans laquelle ils investissaient s’il s’agissait d’un investissement en direct ou via “mandat ISF”, n’en portaient en réalité que le titre. Ils étaient avant tout motivés par une incitation fiscale quasi-imbattable et un engagement de liquidité, qui faisaient de ce montage fiscal une dette déguisée pour la PME (et faiblement risquée pour l’investisseur) :

  • Outre la réduction d’ISF à l’entrée, les investisseurs ISF bénéficiaient d’une sortie de l’assiette de l’ISF du montant de leur investissement, sur la durée de détention, et d’une imposition à la sortie également réduite (la base de 100% de l’investissement étant prise en compte).
  • En cas d’échec et de pertes, les investisseurs ISF avaient la possibilité d’imputer ce déficit sur d’autres plus-values de même nature : ils avaient donc encore une économie d’impôt égale au taux marginal pouvant atteindre 45%. Soit un “hedging” quasi parfait si l’on intègre l’économie d’impôt à l’entrée et la réduction de l’assiette ISF sur la durée de détention.

En résumé, du côté des investisseurs ISF, l’optique était de réaliser avec théoriquement quasiment aucune prise de risque une plus-value de 2,5 fois leur investissement initial en 5 ans : un multiple de sortie fixé entre 1,2 et 1,3 fois leur investissement initial, divisé par 0,5 étant donné que 50% du montant de leur investissement venait en réduction de leur Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF).

Image 2 : Principe de fonctionnement d’un investissement ISF en 2017 dans une PME, ouvrant droit à une défiscalisation

Du côté des PME ayant souhaité bénéficier de ces dispositifs, les avantages étaient bien présents (du capital sans “actionnaires”), mais contre-balancés par certaines contraintes indéniables, en comparaison du deal presque parfait dont bénéficiaient les investisseurs ISF. Ainsi, les PME ayant fait appel à ce type de financement l’ont fait en prenant en considération plusieurs avantages :

  • Accès rapide au financement, même s’il existait toujours une incertitude sur le montant jusqu’au dernier moment
  • Complément au financement bancaire, offrant une réponse adaptée aux besoins de financement des PME qui n’étaient pas couverts par les produits bancaires traditionnels. Elles y trouvaient donc, dans la limite annuelle de 2,5M€, un financement in fine, long terme, sans garantie sur les actifs, pour une utilisation assez libre (acquisition, investissement, développement…), en opposition donc aux financements bancaires traditionnellement amortissables, adossés à des garanties et dont l’objet de financement est limité.

En résumé, cette dette déguisée en investissement au capital des PME, leur permettait de bénéficier d’un financement pour leur développement sans pour autant avoir à se lancer dans une ouverture classique de leur capital avec toutes les implications en terme de gouvernance, de valorisation, de partage de la plus-value que cela implique.

Quels étaient alors les inconvénients des produits ISF pour les PME ?

Sans trop entrer dans les détails, attardons-nous sur deux sujets de poids : les conditions de sortie mises en place pour les investisseurs ISF, et les frais de gestion pris par les société de gestion vendant ce type de produits fiscaux.

Les conditions de sortie avaient pour objectif de (i) respecter la contrainte fiscale fixant une détention des titres de la PME de 5,5 ans minimum afin de bénéficier de l’avantage fiscal, et (ii) une fois ce délai atteint, de forcer la cession des titres des investisseurs ISF, afin d’assurer la liquidité de leur investissement. Les conditions d’investissement ISF au capital des PME étaient donc strictement encadrées par les société de gestion spécialisées dans ce domaine, au profit des investisseurs ISF et du respect des contraintes liées à l’avantage fiscal :

  • Mise en place d’actions de préférence sans droit de vote avec clause de rachat à l’issue de la période de détention de 5,5 ans, permettant de satisfaire les contraintes fiscales, toute en offrant une liquidité ;
  • Rachat sur des bases préétablies : généralement 1,2 à 1,3 fois le montant initial investi ;
  • Pénalités en cas de non respect du calendrier, avec possibilité de forcer la cession de la société pour assurer la liquidité.

Le risque principal pour le dirigeant actionnaire était donc de ne pas pouvoir racheter les parts des investisseurs ISF à la date fixée, et de voir ces derniers forcer la vente de la société afin de réaliser la plus-value contractualisée. Même si cette condition peut paraître sévère, n’oublions pas que la contrepartie de ce point était que le dirigeant-actionnaire d’une société en pleine croissance n’avait pas à racheter les parts des investisseurs ISF au prix actuel, mais à un prix fixé entre 1,2 et 1,3 fois le montant initial. Sur une société en croissance, le jeu pouvait donc en valoir la chandelle, et les dirigeants de PME prenaient généralement le risque en conséquence.

Le second effet pervers du système restait donc les frais pris par les sociétés de gestion opérant ces transactions, au moment de la mise en place du deal mais aussi tout au long de la détention des titres par les investisseurs ISF. Ces frais et commissions, supportés par les entreprises et versés aux sociétés de gestion intermédiaires, pouvaient représenter sur la période jusqu’à 34% du montant investi par les investisseurs ISF.

Le tableau ci-dessous représente les frais types pris par ce type d’intermédiaires. Dans cet exemple, la société de gestion opérant la transaction facturait donc à la PME 10% HT de frais “upfront” lors de la mise en place du deal, puis chaque année (pendant 5 à 7 ans), 4% HT du montant investi.

Image 3 : Frais typiques d’un mandat ISF, pour le mandant et pour la PME, et commissions consenties au distributeur

Ces frais ont d’ailleurs été maintes fois montrés du doigt, et ont sans doute participé à l’extinction de ces dispositifs qui bénéficiaient plus aux sociétés de gestion opérant sur le juteux marché de la défiscalisation ISF qu’aux PME. La disparition de ces dispositifs qui permettait finalement d’accéder à des ressources de financement non dilutives et librement affectées par le dirigeant, se fait petit à petit au profit des plateformes de crédit telles que WeShareBonds, dont les frais sont 4 fois inférieurs.

Côté investisseur, les contribuables anciens redevables ISF (et tous les autres aussi !) bénéficient désormais de la flat tax à 30% sur les revenus issus du prêt aux PME, ceci afin d’encourager tous les Français à investir dans les PME françaises.

Publication originale le 14 mars 2019, mise à jour le 8 janvier 2020

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