
Mis à jour il y a 2 ans
L’immobilier semble continuer à voler de records en records. Malgré la crise de la Covid-19, les prix restent soutenus et l’immobilier semble jouer son rôle de valeur refuge. Les conséquences de la crise et ses répercussions ne sont par ailleurs sans doute pas encore totalement connues ; et le recul manque. De plus le secteur de l’immobilier résidentiel ; n’aura pas été impacté à même hauteur que l’immobilier de bureau et l’immobilier commercial.
Cependant, étant donné la conjoncture et les cycles écoulés ; des voix s’élèvent pour poser la question de l’existence d’une bulle immobilière et du risque d’un “krach immobilier”. Que recouvre ce concept de “krach” immobilier, et quels sont ses facteurs d’apparition ? Si la question d’une bulle peut se poser pour de nombreux actifs en général, l’immobilier est-il également concerné ? L’avenir de l’immobilier en 2021 et dans les années suivantes ; ne connaitra-t-il pas plutôt des mutations et des nouveaux défis plutôt qu’un “krach” brutal ?
Qu’est-ce qu’un krach immobilier ?
Le sujet du risque d’un “krach immobilier” est revenu dans l’actualité ; à l’occasion de la crise de la covid-19, il y a un an. Le premier confinement avait fait craindre de manière générale un effondrement économique. Pour l’instant celui-ci n’a pas eu lieu.
Krach immobilier : définition
Un « krach » est un mot d’origine allemande désignant un grand bruit — identique à ce qui serait causé par un effondrement. Par extension, le mot désigne un point de rupture ; entrainant une baisse brutale des prix ou des cours de certains actifs. Il marque souvent la fin d’un cycle, alors que l’équilibre entre l’offre et la demande est rompu ; mouvement lié à l’évolution d’un ou plusieurs facteurs qui soutenaient un équilibre fragile. La rupture de certains points d’équilibre entraine une réaction en chaîne sur l’offre et la demande ; les acheteurs désertent et les vendeurs paniquent. Une situation symétrique de celle d’une bulle ou d’une hausse spéculative auto-entretenue. L’image de l’explosion d’une bulle témoigne en effet de son caractère soudain et souvent imprévisible.
Les krachs immobiliers dans l’histoire
Sur le long terme, l’immobilier a connu un cycle largement haussier malgré certains épisodes de baisse. Il existe bien sûr des nuances locales, et selon les types d’actifs. Mais le mouvement a été assez global, notamment concernant les grandes métropoles ; avec une augmentation bien au-delà de la croissance du PIB. Sans remonter jusqu’à la crise de 1929 ou le secteur s’était effondré ; les marchés immobiliers ont connu deux épisodes de baisse significative ces dernières décennies. Ceux-ci suivaient à chaque fois un cycle de hausse soutenu :
La crise des années 90
Les années quatre-vingt-dix ont été marquées par plusieurs crises économiques ; (Première Guerre du Golfe, crise asiatique en 1997) ; avant l’avènement de la révolution numérique et l’entrée de la Chine dans l’OMC ; marquant l’ère de la mondialisation, et qui participeront d’un rebond de la croissance mondiale dans les années 2000. En France, les prix des logements avaient ainsi augmenté de 200% entre 1984 et 1991 ; avant de chuter de 35% jusqu’en 1998. À l’époque la chute de la demande avait alors poussé les grands promoteurs ; à consentir des réductions de prix important pour écouler leur stock de logements ; et les marchands de biens avaient également été touchés. Le secteur et l’économie en général ont été durablement affectés.
La crise des subprimes
Il s’agit d’une crise à l’origine financière, qui s’est propagée à l’économie et a entrainé une chute de l’immobilier. Les “subprimes” (ou crédits hypothécaires) ; désignent des prêts accordés à des ménages qui auraient été exclus du marché traditionnel ; (marché “prime”) sur la base de leur revenu insuffisant.
Des facilités de crédits adaptées (faible apport, possibilité de capitaliser les intérêts…) ; accordées massivement à ces nouveaux accédant et gagés sur la valeur de leurs biens ; (dont la valeur allait forcément monter…) ont entretenu un marché à la hausse. Elles ont favorisé les achats spéculatifs. Ces dettes ont été “packagées” dans des portefeuilles assez opaques revendus à des investisseurs… Lorsque la tendance s’est inversée, et que les taux d’intérêt sont remontés ; les défauts ont explosé, entrainant la faillite des créanciers ; (les protections sous forme d’assurances crédits ou « crédit défaut swap » n’ont pas résisté au mouvement) ; et la ruine de nombreux propriétaires. Le film “The Big Short”, sorti en 2015 illustre tout le cycle parfaitement et de manière très documentée.
En France, le prix des logements anciens avait cru de 150% entre 1998 et 2008. La crise a entrainé une baisse limitée ; de l’ordre de 10%, car la pratique des “subprimes“ était (et demeure) inexistante ; les crédits étant accordés sur la base des revenus et non seulement de la valeur du bien acquis. Depuis, le cycle haussier n’a connu qu’une brève pause entre 2013 et 2015 ; tempérée par la demande soutenue et des conditions de financement favorables.
Comment apparait un krach immobilier ?
Les krachs immobiliers peuvent apparaître dès lors que les facteurs qui maintenaient une situation déjà tendue disparaissent. Le mouvement peut être plus ou moins brutal, et la situation durer le temps que les différents facteurs soient résorbés. Par exemple le Japon a été confronté à une crise financière avec krach financier et immobilier en 1990. Mais le pays n’est jamais vraiment sorti de cette situation, avec une déflation et un ralentissement économique persistants. Le vieillissement et la décroissance démographique ont entrainé des déséquilibres durables (en bourse ; il a fallu attendre février 2021 pour retrouver le niveau de 30 000 points de l’indice Nikkei225, atteint en 1990 !).
Facteur déclencheur du krach immobilier
Le krach résulte du déséquilibre entre l’offre et la demande. Par exemple, une baisse de la demande de la part des acheteurs ; (déclin démographique, mouvements géographiques, baisse de la solvabilité des acheteurs) ; ou d’une surabondance de l’offre :
Détérioration des conditions de financement
Un cycle de hausse des taux va mécaniquement renchérir les coûts futurs lors de l’acquisition d’un bien. L’alourdissement du montant des annuités, pour un même prix d’acquisition, entraine donc mécaniquement les prix à la baisse. Le durcissement des conditions de financement exclut de fait une partie des acheteurs potentiels du marché ; (impossibilité d’emprunter en respectant les ratios bancaires, apport insuffisant…). Par ailleurs une réduction des encours de crédit accordés ; limite la somme globale disponible des acquisitions de biens sur le marché.
Détérioration de la solvabilité des acteurs
La baisse de la solvabilité peut être liée à la détérioration des conditions économiques générales. D’autant plus si les données sont déjà tendues. Ainsi ces dernières décennies le taux dit “d’effort” des ménages (pourcentage du revenu disponible consacré à l’immobilier) a considérablement augmenté.
Les banques limitent d’ailleurs le ratio entre service de la dette et revenus à 35%. Le nombre d’années moyen de salaires pour acquérir un bien immobilier ; le ratio d’endettement sur les revenus des ménages sont des indicateurs d’une certaine tension du pouvoir d’achat immobilier. Toute augmentation du chômage peut mettre en péril l’équilibre du marché.
Dans le cas d’un montage locatif ; une détérioration de la qualité des locataires et de leur solvabilité peut entrainer une crise de liquidité à court terme ; (impossibilité pour le propriétaire de faire face à ses échéances financières). Et à moyen terme, une baisse des prix du marché ; (augmentation des rendements locatifs exigés face au risque qui entrainent une baisse des prix).
Avec la crise de la Covid-19, la solvabilité des ménages risque d’être impactée ; même si le phénomène n’est pas encore flagrant. Dans le domaine de l’investissement commercial (voire du bureau) ; la situation s’est détériorée pour certaines foncières spécialisées ; confrontés à des défauts de la part des locataires. Pour mesurer la fragilité des propriétaires (ou d’une foncière en l’occurrence) ; le ratio LTV (Loan to Value) permet de mesurer dans quelle mesure le propriétaire pourrait couvrir ses dettes ; (et le créancier récupérer sa mise) en revendant ses actifs. Bien sur en cas de krach immobilier la valeur des biens peut connaitre une baisse importante à court terme ; d’où l’importance de connaitre la marge de sécurité existante.
Décalage entre offre et demande
La crise de la Covid-19, avec ses confinements successifs, va entrainer des difficultés pour de nombreuses entreprises. Celles-ci pourraient être contraintes de diminuer leurs budgets consacrés à l’immobilier. Cela pourrait également provenir d’un choix : l’essor du télétravail entrainant de nouvelles habitudes. C’est du moins la conclusion d’une étude de l’Institut de l’Epargne Immobilière et Foncière (IEIF).
Le calcul est le suivant : à Paris un scénario médian de 41% d’entreprises ; passant à deux jours de télétravail hebdomadaire lorsque cela est possible. Le mouvement impliquerait une réduction significative de la demande. Une fois intégré les employés effectivement concernés ; cela pourrait représenter 3,3 millions de m2 (soit 6,5% du parc actuel en Ile de France) ; et avoir un impact négatif de 14%/an sur la demande placée. Pour rappel, la demande placée ; à la différence de la demande simple ; concerne les recherches de locaux qui ont été satisfaites et ont donné lieu à la signature d’un bail. La demande placée s’exprime en m2 et illustre le volume qui a trouvé effectivement preneur (au-delà des simples intentions).
Lors de la crise de 2008, l’Espagne a connu une explosion de la bulle immobilière ; qui faisait suite à une frénésie de construction sur une base spéculative et sans demande finale réelle. Avec pour conséquence la faillite de la majorité des grandes sociétés de BTP, et l’apparition de véritables villes fantômes inhabitées. Pour illustrer l’ampleur du phénomène ; le nombre de nouveaux chantiers ouverts en Espagne en 2006 ; (900 000) représentait dix fois le niveau de 2017.
Dans une étude récente « La construction et la rénovation des logements privés en France », le Trésor ; a défini 4 zones dans l’hexagone en fonction de l’équilibre entre offre et demande de logements.
Cycles : marché acheteur ou marché vendeur, demande vs offre
La dynamique du marché est essentielle dans l’apparition d’un krach. S’il y a une certaine latence pour que les effets des déséquilibres apparaissent clairement ; certains indicateurs précurseurs peuvent exister ; au niveau micro-économique, macro-économique, local ou national. Les marchés haussiers sont auto-entretenus lorsque le marché et le rapport de force est favorable aux vendeurs. Ces derniers vendent plus cher — et « au prix » — et plus rapidement. Les acheteurs qui revendent eux-mêmes leur bien pour acheter en profitent et entretiennent la tendance.
Certains indicateurs peuvent constituer des indices précurseurs d’une crise à venir, par exemple :
Le délai d’écoulement des biens :
C’est-à-dire le délai pendant lequel un bien reste sur le marché à la suite d’une annonce en agence immobilière. Si ce délai s’allonge trop, les vendeurs sont amenés à baisser leur prix pour pouvoir conclure une transaction.
La marge de négociation :
C’est-à-dire la différence entre le prix demandé et le prix auquel la transaction a eu effectivement lieu. Il illustre le rapport de force entre vendeurs et acheteurs.
L’indice de tension immobilière (ITI)
L’ITI mesure l’équilibre entre la demande et l’offre de biens disponibles sur un marché local. Il est un indicateur de la dynamique du marché et de son évolution à moyen terme.
Conséquences du krach immobilier
Le krach immobilier va avoir des conséquences immédiates et plus ou moins durables ; jusqu’au rétablissement d’un point d’équilibre entre offre et demande.
- Baisse du niveau des prix : cela aura une conséquence limitée sur un propriétaire occupant ; qui n’a pas besoin de vendre ; et qui rembourse son crédit grâce à ses revenus propres. En revanche, cela affectera en priorité les montages d’investissement avec levier important ; les investisseurs pouvant être contraints de vendre à perte pour faire face à leur engagement.
- Risque de faillite sur les opérateurs immobiliers ; une baisse des prix peut entrainer des ventes à perte des promoteurs et marchands de biens ; une augmentation des stocks d’invendus empêchant par ailleurs le lancement de nouveaux programmes et la reprise de l’activité.
- Risque de perte pour les créanciers : les banquiers peuvent être confrontés à une hausse des défauts sur la dette immobilière. Ils seront affectés si la valeur des actifs pris en sûreté est inférieur à la dette résiduelle.
- Baisse de la liquidité et “flight to quality” : les biens de meilleure qualité pourront a priori trouver acheteur en priorité ; malgré des conditions de valorisation dégradées. Les actifs les moins attractifs seront les plus impactés à court terme.
- Effet domino : le retrait des investisseurs affecte les opérateurs ; et les difficultés de banques freinent les financements ; entrainant un effet de boucle sur les transactions et les valeurs.
Quel avenir pour l’immobilier en 2021 ?
À l’issue d’un cycle de hausse de long-terme (valorisations multipliées par quatre à Paris en vingt-ans) ; et d’une remarquable performance du secteur immobilier, la Covid-19 va-t-elle changer la donne ?
Une situation différente
La situation sera sans doute différente suivant les secteurs du marché ; entre une demande qui reste forte pour le résidentiel ; et l’immobilier d’entreprise et commercial qui devraient être plus durement impactés. On assistera sans doute à des évolutions plus qu’à des ruptures.
Le secteur résidentiel (logements)
La demande de logements reste structurellement soutenue ; le volume de transactions sur les logements anciens n’a que peu varié ; et s’est établi en 2020 à près d’un million de logements, proche de ses records. Le logement neuf et la production ont certes été impactés par la baisse des permis de construire ; (-15%, en partie du fait des élections municipales) et du confinement. Mais le marché a été soutenu par la hausse des ventes en bloc auprès d’investisseurs professionnels particulièrement actifs. Alors que le foncier devient de plus en plus rare et cher ; le marché de la rénovation a le vent en poupe.
Finalement l’impact de la Covid-19 ne s’est pas encore fait ressentir, la demande restant forte. Malgré un ralentissement, les prix ont continué de monter en 2020. Néanmoins, sur 1 an, Paris fait exception en affichant une baisse de prix de -1,8%, un phénomène unique depuis 2015. De nouveaux comportements ont vu le jour ; avec un attrait accru pour la grande couronne et un appétit pour les maisons au détriment des appartements.
Le segment du luxe continue à bien se porter malgré les confinements qui ont écarté un temps les acheteurs étrangers. Même l’immobilier de montagne ; confronté à la fermeture des stations ; ne semble pas avoir connu de désaffection ; les acheteurs restant plus que j’avais en quête de grands espaces.
Immobilier de bureau, professionnel et commercial
Le télétravail pourrait impacter durablement l’immobilier de bureau. Les taux de vacance ont augmenté à Paris et notamment dans des secteurs tels que la Défense. Cependant, pour l’instant l’immobilier tertiaire a plutôt bien résisté ; SCPI et OPCI ont collecté 8 milliards d’euros (en baisse de 30% par rapport à 2019 ; mais 10% au-dessus du niveau de 2018).
Coté commerce, les grands centres commerciaux ont été naturellement impactés par la Covid-19 et les mesures de confinement. Les créations de mètres carré commerciaux ont chuté de -42% par rapport à 2019, à 420 000 mètres carrés. Restaurants, hôtels ont été également très fortement touchés. Cependant, les commerces dits essentiels, le secteur du bricolage, la grande distribution, ont bien résisté.
Il est un peu tôt pour mesurer l’impact final. Face à des actifs sans risques au rendement nul ; les rendements offerts par l’immobilier, combinés aux conditions de financement toujours attractives ; soutiennent la demande. Certes il y aura forcément des ajustements (nouvelles valeurs locatives) ; mais les bâtiments “value-added” restructurés et adaptés aux nouveaux usages ; par exemple les entrepôts et la logistique qui profitent du boom de l’e-commerce séduisent.
Des mutations plus qu’un krach ?
Pour l’instant le krach n’a pas eu lieu. La baisse de l’activité de construction a eu par ailleurs tendance à faire baisser les stocks. La Covid-19 pourrait cependant accélérer les nouvelles tendances :
- Transformer des bureaux en logements : cela va dans le sens d’un rééquilibrage de l’offre. Malgré des obstacles pratiques, les pouvoirs publics semblent soutenir certes démarche. Cela va dans le même sens que la restructuration et la rénovation d’immeubles anciens ; mouvement par ailleurs porté par les nouvelles exigences légales en termes de normes environnementales.
- Des nouveaux modes d’habitat : confinement et télétravail ont sans doute modifié les envies des Français. Nexity, leader des promoteurs français, a ainsi indiqué qu’il ne construirait plus de logement sans espaces extérieurs. Les maisons semblent également plébiscitées. Verra-t-on apparaître des logements plus modulaires adaptés au télétravail ?
- Paris semble avoir momentanément perdu son rôle moteur. Va-t-on assister à un rééquilibrage durable Paris/province au pays de la centralisation ?
- Pour s’adapter aux nouveaux usages, les bâtiments “value-added” et à usage mixte ont la préférence des investisseurs. De nouveaux concepts, tels que les “darks kitchens” ; destinées uniquement à la livraison de repas à domicile ou au bureau ont fait leur apparition ; offrant de nouveaux débouchés au secteur de la restauration
De manière générale, le bond réalisé par l’e-commerce et la livraison pourraient entrainer une réallocation des surfaces commerciales et une reconfiguration des circuits logistiques.
Publication originale le 22 avril 2021, mise à jour le 22 avril 2021